Et si le développement durable était une imposture nuisible à l’homme et à la planète ? Et si cet oxymore ne visait qu’à préserver le système ? Et s’il était possible de dépasser le dogme de l’écologie au service de la croissance ? Surprises et éléments de réflexion avec l'auteur du livre L'imposture du bien-être.
Les mots ont un sens mais comme ils en ont le plus souvent plusieurs, ils perdent assez fréquemment leur sens premier. Historiquement, un pays est dit en « développement » lorsque son économie n’a pas encore atteint sa maturité, « développé » lorsque son « produit intérieur brut » est élevé. Le PIB d’un pays recouvre toutefois des « productions de richesses » aussi disparates que la production industrielle polluante, les accidents de la route ou l’ensemble des pathologies nécessitant des soins. De ce point de vue strictement comptable, plus les citoyens sont en mauvaise santé et plus le PIB est élevé et le pays dit développé. Le « qualitatif » de la définition a depuis longtemps fait place à un quantitatif beaucoup plus rentable…
Le deuxième adjectif de l’amélioration promise est « durable » et l’on comprend en effet l’intérêt pour l’économie ou la finance à faire durer son plaisir et son développement, quitte pour cela à abuser des figures de style. Le « développement durable » est ainsi à la fois un pléonasme, la définition du développement économique – « amélioration qualitative et durable d’une économie et de son fonctionnement » – intégrant déjà le terme de durabilité et un oxymore, un développement ne pouvant, par nature, durer éternellement. Lorsqu’un concept est aussi fendu, la schizophrénie guette.
Tout organisme naît, grandit, vieillit et meurt. La période de développement fait ainsi place à une période de régression. Le cycle de la vie n’est pas une droite mais une courbe. Progrès et technologies visent à retarder l’échéance mais le développement biologique durable est globalement un échec : dans les pays développés, l’espérance de vie en bonne santé augmente peu voire régresse, ce qui assure la profitabilité de Big Pharma. « Il ne faut pas chercher à rajouter des années à sa vie, mais plutôt essayer de rajouter de la vie à ses années» écrivait Oscar Wilde mais le bon sens, la qualité de l'eau ou la protection contre les ondes (pour citer quelques fondamentaux de l'écologie personnelle) ne sont pas rentables. L’espoir fait vivre et mieux vaut ainsi croire à un avenir meilleur fait de biotechnologie et d’humanité augmentée…
Au niveau économique « une croissance infinie dans un monde finit » est une perspective toute aussi ridicule mais le ridicule ne tue pas et ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Dans le monde financier, le toujours plus est le seul moyen de rassurer les actionnaires, ces hommes d’actions qui ne font pourtant pas grand-chose. La finance est nécessairement déconnectée de la réalité car la réalité est réelle et impose donc ses limites. Il n’y a que dans la fantasmagorie et le virtuel qu’une croissance peut être illimitée et c’est la raison pour laquelle les traders fonctionnent sous psychotropes ou sont remplacés par des algorithmes à haute fréquence…
Le « développement durable » fait partie de ces « expressions fast-food » diffusées à coup de marketing, mâchées sans réflexions et digérées tant bien que mal par un estomac affaiblit. « Un mensonge répété dix fois reste un mensonge, répété dix mille fois il devient une vérité » disait le maître de la propagande nazie Goebbels. A force d’avaler des salades, ce qui est à la base un concept économique est devenu la seule orientation écologique officielle : l’écologie au service de la croissance !
Cette expression est apparue pour la première fois en 1987 dans le rapport de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement de l'Organisation des Nations unies, dit rapport Brundtland : « le développement durable [sustainable development] est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs propres ». Un développement intéressant serait en effet de se pencher sur les réels besoins du présent : de quoi le présent pourrait-il donc avoir besoin dans nos sociétés dites développées ? D’un temps de réflexion peut-être ?
Par exemple : n’avons-nous pas déjà été trop loin dans notre développement ? Au nom du confort et de la technologie, n’avons-nous pas perdu en aptitudes et en force ? Le « syndrome de la couche culotte » est révélateur de notre obsolescence graduelle et programmée : plus les couches sont perfectionnées (et dangereuses pour les enfants au regard des produits chimiques intégrés) et moins l’enfant devient propre rapidement. Pourquoi ferait-il le moindre effort puisque ses fesses sont au sec ?
De même, pourquoi savoir écrire à l’heure des sms et des correcteurs d’orthographe ? Pourquoi cuisiner s’il existe des plats à réchauffer au micro-ondes ? Pourquoi me remettre en question puisque mon réseau social me trouve tellement formidable ? Pourquoi prendre soin de mon système immunitaire puisqu’il existe des vaccins ? Nous pourrions multiplier les exemples de progrès & développements mis en place au détriment de l’homme. Nous sommes, à mesure que la technologie se développait, entré en récession. Plus nous courrons vers la technologie et plus nous nous retrouvons en arrière, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes.
Quant à la capacité des générations futures à déterminer leurs besoins propres, il faudrait déjà que nous ne leur laissions pas une planète trop sale. L’expression relève ainsi d’une absurdité intrinsèque : plus une croissance est durable et plus le risque est grand de laisser à nos enfants une planète dévastée, la durabilité de ressources naturelles limitées ne pouvant être assurée.
« Finalement, le "développement durable" n’est-il pas qu’un hochet médiatique fourni par « Papa Capital » à son « Bébé Masse », dont l’agitation inconsidérée aurait néanmoins la vertu reconnue de calmer son anxiété face à l’avenir ? » s’interroge avec humour Christian Laurut dans son livre L’imposture écologiste.
Et les économies d’énergie alors ? Le progrès ne se caractérise-t-il pas surtout par des engins, machines ou gadgets de moins en moins énergivores ? La fin de la mauvaise conscience consumériste n’a-t-elle pas été officiellement annoncée : plus je consomme des appareils moins énergivores et moins je pollue ce qui me permet de davantage consommer ! Vite, des étiquettes « classes énergétiques » sur tous les produits afin de donner mauvaise conscience à tous ceux qui manquent justement de pouvoir d’achat et donc de classe…
C’est la solution proposée lors du débat du 24 septembre 2021 par la nouvelle figure de l’écologie politique Sandrine Rousseau (par ailleurs pleine d'ambitieuses convictions) : oui bien sûr, il faut augmenter les taxes sur l’essence mais ne vous inquiétez surtout pas Mesdames et Messieurs les Gilets Jaunes car on vous aidera par ailleurs à changer de voitures ! Si avec ça la durabilité de la croissance n’est pas assurée, c’est à n’y rien comprendre. Certes, ce sont les chinois qui consommeront l’essence que les français n’auront pas pu s’acheter mais au moins nous, petits Colibris, nous aurons l’air d’avoir fait notre part… Plutôt que de paraître, il faudra bien pourtant un jour finir par être !
La martingale du business alliée à l’écologie politique se heurte toutefois au bon sens et au concept d’énergie grise : quelques soient les économies engendrées via leur usage, la fabrication d’un nouveau produit est toujours plus polluante que l’entretien et l’usage d’un vieux. Technologie et progrès ne peuvent sauver la planète car ils requièrent toujours davantage de ressources. Et voilà pourquoi conserver sa vieille voiture Diesel est toujours beaucoup plus écologique que d’acheter la dernière voiture électrique. « On est riche de ce qu’on ne possède pas » disait Gandhi mais on est surtout propre de ce qu’on ne fabrique pas !
Le « sustainable development » de la définition initiale est désormais toujours traduit par « durable » c’est-à-dire « de nature à durer longtemps », ce qui est un joli contresens. Soutenable se traduit en anglais par « sustainable » ou « bearable » c'est-à-dire « supportable ». Insupportable pour le système ?
Bref, ce qui est durable n’est pas forcément « soutenable ». Un développement véritablement soutenable, c'est-à-dire « qui peut être supporté, enduré » consisterait plutôt à ralentir dans les pays déjà développés afin de permettre aux autres de nous rattraper sans trop de casse pour la planète. La course au « toujours plus » pour rester en tête devrait devenir une marche pour le « enfin mieux » au niveau collectif. Moins de biens mais plus de liens !
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